Une nouvelle section du jardin botanique des UFR de médecine et de pharmacie de l’Université Grenoble Alpes (UGA) a été développée au printemps 2022. Cet espace vient compléter les collections botaniques du jardin Dominique Villars de l’université, parc botanique nommé en hommage à cet influent médecin et botaniste de la fin du xviiie siècle (Villars, 1786-1789),illustrant la collaboration entre les facultés de médecine et de pharmacie. La figure ci-dessous détaille l’aménagement global du jardin botanique Dominique Villars au cœur du secteur santé de l’université.
Ce jardin japonais vient mettre en lumière le récent partenariat académique développé entre l’UGA et l’université de pharmacie de Yokohama au Japon. Cette dernière dispose d’un département dédié à l’enseignement et aux recherches sur les plantes médicinales japonaises, issues de la médecine kampo (漢方). Cette médecine traditionnelle utilisant des plantes est au Japon une interprétation des médecines traditionnelles chinoises importées à partir du vie siècle : le mot kampo pouvant se traduire par « méthode de soin selon les Han ». L’idée de la création d’un jardin japonais botanique et médicinal s’est ainsi construite autour de cette thématique de soin par les plantes et avec la volonté de favoriser l’enseignement des connaissances s’y rapportant.
Vue du jardin de plantes ornementales avec ses bassins
Le jardin japonais en question représente un ensemble d’enjeux multidimensionnels originaux, qui se distingueraient des conceptions traditionnelles de certains jardins japonais en Europe. Tout d’abord, il trouve son ancrage dans un contexte scientifique, en particulier dans le cadre d’une thèse de doctorat réalisée en cotutelle entre l’UGA et l’université de pharmacie de Yokohama (Paul-Traversaz, 2021-) portant sur les remèdes cutanés kampo, qui intègrent des plantes médicinales. Cette thèse de recherche intervient après la rédaction d’un premier doctorat d’État en pharmacie portant sur la pharmacopée kampo (Traversaz, 2018). Un travail a été présenté de manière synthétique dans la revue Ethnopharmacologia (Traversaz, 2019). Ces recherches contribuent à élargir en France la compréhension des pratiques médicinales traditionnelles japonaises. Manon Paul-Traversaz a conceptualisé et réalisé ce nouveau jardin sous les conseils de Michel Sève et Serge Krivobok afin de développer les collections du jardin. Tous docteurs en pharmacie, ils proposent un récit descriptif de ce projet et sont directement impliqués dans les activités de gestion du jardin botanique Dominique Villars. Il fut aussi réalisé grâce à l’aide de Simon Paul (docteur en pharmacie et doctorant à l’UGA ), Pauline Durrenbach (technicienne jardins espaces verts sur le secteur santé de l’UGA ) ainsi que de plusieurs étudiants et personnels des UFR de médecine et de pharmacie.
Ce jardin, financé par l’UGA, possède une dimension pédagogique en offrant un enseignement de base pour les étudiants en pharmacie ainsi que pour les étudiants en biologie de niveau master. Il est aussi le support d’enseignements de formation continue destinés aux professionnels de santé, favorisant ainsi la diffusion de connaissances illustrées sur les pharmacopées asiatiques. Un autre aspect important de ce jardin japonais est sa vocation de médiation culturelle et scientifique envers le grand public (événements thématiques et expositions culturelles en plein air). Cela permet à un large auditoire de découvrir et d’apprécier la richesse de la culture japonaise des jardins et de la botanique. Enfin, tous ces enjeux sont mis en œuvre en associant l’aménagement paysager japonais.
Un jardin japonais de plantes médicinales kampo
Création et conception du jardin
La conception du jardin a été pensée pour s’intégrer dans une zone non aménagée du parc Dominique Villars en conservant les arbres déjà présents : grands érables et bouleau pleureur. Les structures du site, comme le rucher d’abeilles, ont été considérées lors du dessin. Celles-ci ont par exemple influencé la conception de la zone de plantes médicinales adjacente. Lors de la réalisation des dessins de structure, une attention a été portée pour incorporer au mieux les éléments conceptuels du jardin japonais (jardins secs, lanternes, pièces d’eau et reliefs) dans l’espace existant.
Ce jardin japonais comprend deux parties complémentaires, une zone sous les érables avec les buttes et les bassins et une autre sous le bouleau, proche du rucher, où sont rassemblées des espèces médicinales uniquement. La première zone avec ses bassins, la plus étendue, permet de capter l’attention du visiteur qui s’intéresse alors aux plus petites plantes non visibles de loin. Les bassins ont évolué lors de la mise en place. Ils ont été dessinés par Manon Paul-Traversaz, conceptrice du jardin. Ces dessins ont permis d’exposer le projet aux différents partenaires et fournisseurs avant réalisation.
Les plans ont été présentés au lycée horticole de Saint-Ismier, dont les équipes pédagogiques et les élèves sont impliqués dans la mise en œuvre et l’entretien du jardin Dominique Villars. Lors des premiers travaux du jardin japonais, les équipes ont ainsi apporté leur aide dans la préparation du terrain, son terrassement et l’installation des trois bassins. Une gaine technique a été prévue afin de permettre l’alimentation électrique pour les pompes de filtration des bassins
Ces actions ont été réalisées sur une journée après quoi seule une équipe restreinte du secteur santé s’est chargée de la construction et de l’aménagement du jardin. La réalisation technique se fonde sur la base des connaissances de Manon Paul-Traversaz acquises lors de son séjour académique d’un an à l’université de pharmacie de Yokohama. Les nombreuses références à des jardins japonais de renom présentes dans cet article proviennent des découvertes et visites réalisées lors de ce long séjour. L’entretien de la zone est réalisé principalement par Pauline Durrenbach et par Manon Paul-Traversaz. Il comprend la taille des arbustes, le contrôle de la pousse des plantes au sol, le remplissage et le nettoyage des trois bassins. La pose de la gravette et des bordures a été réalisée de sorte à constituer la zone en gravillons de la partie comportant les plantes médicinales attenantes au rucher.
Le kampo, médecine traditionnelle au Japon
Le kampo est considéré comme une médecine intégrée et de terrain (Watanabe et al., 2011), Le kampo est une discipline médicale et pharmaceutique employant des ingrédients naturels. Il constitue la plus grande partie de la médecine traditionnelle japonaise telle qu’elle est connue actuellement. Le kampo et ses remèdes (kan-yaku 漢薬) cohabitent cependant avec la médecine folklorique endémique du Japon et ses plantes médicinales (wa-yaku 和薬). L’ensemble nommé wa-kan-yaku (和漢薬) réunit ces connaissances médicinales à la fois importées de Chine et originaires du Japon.
La materia medica kampo emploie des ingrédients végétaux (mais aussi moins fréquemment des minéraux, champignons ou ingrédients animaux). Parmi les drogues végétales issues de la tradition kampo on peut mentionner les racines de réglisse (Glycyrrhiza glabra ou G. uralensis) ou de rhubarbe (Rheum palmatum, R. tanguticum et R. officinale) pour leurs vertus toniques et digestives, celles de pivoines (Paeonia lactiflora ou P. suffruticosa) pour leurs propriétés anti-inflammatoires ou encore celles du grémil des teinturiers (Lithospermum erythrorhizon) ou de scrofulaire (Scrophularia ningpoensis) à l’effet cicatrisant (Paul-Traversaz et al., 2023 ; The Ministry of Health, Labor and Welfare, 2016).
Le kampo est employé dans la prise en charge de nombreuses affections et s’associe parfois aux médecines conventionnelles. Ses préparations peuvent être intégrées dans le parcours de soin japonais et prises en charge par la sécurité sociale japonaise (Yoshino et al., 2023). Cela illustre de manière pertinente qu’il est possible d’accorder plus d’importance aux plantes médicinales dans un système de soins moderne. Outre son réel intérêt ethnopharmacologique, le jardin japonais de l’UGA permet aussi d’évoquer la problématique de la durabilité et de la ressource en plantes médicinales. Certaines espèces, comme la réglisse de l’Oural (Glycyrrhiza uralensis), menacée en Asie, sont présentées. Leur présence permet, lors de visites guidées, d’aborder cette préoccupation majeure qu’est la conservation des espèces botaniques médicinales utilisées traditionnellement. Les thématiques ethnopharmacologiques et de durabilité sont donc toutes deux intégrées dans le cursus de formation des futurs professionnels de santé ainsi que dans divers enseignements plus vastes.
L’expérience du jardin Dominique Villars : concilier les codes du jardin japonais et la didactique de la botanique médicinale
Codes de conception du jardin japonais
L’espace a été pensé et dessiné en deux parties, une zone d’agrément qui capte l’attention des visiteurs avec des éléments, arbres et arbustes de taille importante, et une zone comportant exclusivement des plantes médicinales. Ces deux parties permettent d’occuper l’espace de sorte que le jardin japonais s’accorde avec les autres zones du jardin botanique. Les choix d’aménagement concernant les pièces d’eau et les buttes, l’importance donnée aux zones en gravillon s’inspirant des jardins secs, les espèces, et les éléments décoratifs ont été faits afin de correspondre à l’image collective que l’on peut avoir d’un jardin dit japonais. La reprise de ces éléments que l’on pourrait considérer comme stéréotypés a permis d’illustrer, selon nous, des codes de conception paysagers japonais.
Pièces d’eau et reliefs
La partie d’agrément présente des volumes avec trois buttes plantées (environ 1 m3 chacune) situées en arrière-plan des bassins de mille litres chacun
Cette construction avec pièces d’eau juxtaposées à des buttes reprend un concept paysager japonais nommé « paysage de montagnes et d’eau » ousansui (山水). Les volumes créés dans ce jardin japonais rappellent ainsi d’une certaine façon les reliefs montagneux environnants de Grenoble (Vercors, Belledonne et Chartreuse, séparés par les fleuves du Drac et de l’Isère). La construction de cette partie du jardin japonais permet de faire connaître ce concept paysager important et l’accent est mis sur cette notion lors des visites guidées effectuées au jardin.
Minéralité
Jardins d’agrément et médicinal sont tous deux pourvus d’éléments minéraux avec pierres et zones en gravillon. Celles-ci délimitent l’espace et peuvent évoquer les jardins secs japonais karesansui (枯山水). De surcroît, le jardin japonais Dominique Villars tente de mettre en scène l’expression japonaise ishi wo taten koto (石を立てん事) que l’on pourrait traduire comme étant « l’art de positionner les pierres » ou celui de dresser les pierres. Les pierres du jardin ont été choisies pour leurs couleurs, marbrures et formes.
Dans un jardin sec japonais, on distingue deux types de rochers : yama ishi(山石), les pierres aux arêtes vives et celles aux courbes plus arrondies transportées par les cours d’eau, kawa ishi (川石). Le jardin japonais Dominique Villars s’inspire de ces deux types avec les kawa ishi autour des pièces d’eau et un élément de type yama ishi dans la zone en gravillon entourant les plantes médicinales. Ces différents rochers permettent d’équilibrer l’espace, et leur asymétrie vient renforcer l’esthétique de l’ensemble paysager.
Dans la même idée, le monolithe présent dans la zone des plantes médicinales est une pierre verticale évoquant le type taidōseki (体胴石) identifié dans des jardins comme ceux des temples Kōmyō-in (Kyoto) et Kennin-ji (Kyoto) (Fujii, 2018 ; Mizuno, 2009). Selon la conceptrice Manon Paul-Traversaz, le monolithe confère ainsi une impression de stabilité. À l’origine, cet emplacement était celui d’une petite lanterne de pierre de type rokkaku yukimi dōrō (六角雪見灯籠). Installée en avril 2022, elle a malheureusement été vandalisée durant l’hiver 2023. Cette dégradation a suscité une réflexion sur cette partie du jardin et le monolithe a alors été installé en remplacement.
Enfin, les zones de gravillons du jardin peuvent rappeler celles du temple Rozan-ji (Kyoto) où elles entourent des zones végétalisées de forme ronde rappelant des nuages. Le jardin de ce temple est surnommé le jardin du Genjimais aussi le jardin des Kikyō (campanules japonaises, Platycodon grandiflorus) (Mizuno, 2002). Cette manière de penser l’aménagement paysager permet de valoriser les espèces botaniques présentées en son centre.
Autres éléments ornementaux
Parmi les autres éléments ornementaux caractéristiques du jardin japonais figure une lanterne sur pied de type tachidōrō (立ち灯籠) correspondant au type kasuga-dōrō (春日灯籠) : son foyer est décoré d’un bas-relief de biche sika (Cervus nippon), emblème d’un sanctuaire shintō très ancien, le Kasuga-taisha (Nara) (McCullough et al., 2009). Elle rappelle aussi celle qui se trouve dans le jardin du Kōtō-in (Kyoto) (Mizuno, 2009). La manière dont la lanterne s’inscrit dans un paysage changeant au fil des saisons symbolise une forme de constance dans le temps. Elle confère aussi une certaine verticalité à la zone des plantes ornementales.
Comme cela est mentionné plus haut, la partie du jardin consacrée aux plantes médicinales kampo était agrémentée d’une lanterne rokkaku yukimi dōrō (六角雪見灯籠), qui a été remplacée par un monolithe. Les concepteurs Manon Paul-Traversaz, Michel Sève et Serge Krivobok ont fait le choix de ces lanternes en s’inspirant des jardins japonais cités précédemment et pour apporter une esthétique nipponne très reconnaissable du grand public.
À l’arrière de cette zone, figure un cheminement ombragé orné de pas japonais tobi-ishi (飛石) rappelant ceux retrouvés des temples Yōkoku-ji (Kyoto) et Keishun-in (Kyoto). Ceux du jardin Dominique Villars sont de style ōmagari (大曲り) et placés en trajectoire curviligne (Fujii, 2018). Les pas ont été placés début 2023 pour aménager l’arrière du jardin japonais où l’ombre ne permet pas le développement de végétation au sol.
Enfin, les deux espaces végétalisés du jardin sont entourés de barrières de bambou courbes de style nanako-gaki (魚子垣). Ces barrières étaient nécessaires pour protéger les parterres et bassins, le jardin botanique Dominique Villars étant un parc en accès libre non contrôlé. Ces barrières, fabriquées par l’équipe du jardin à partir de bambou vert, rappellent celles présentes à la villa impériale Shūgaku-in (Kyoto) ou encore au Sankei-en (Yokohama).
Choix des espèces ornementales
S’agissant de la végétation, les éléments végétaux peuvent être positionnés sur trois niveaux dans un jardin japonais. À Grenoble, une végétation haute dans laquelle on trouve Prunus, bambous sacrés (Nandina domestica), érables (Acer), camélias (Camellia japonica) ou aralias (Fatsia japonica) ; une médiane composée de fougères, hostas (Hosta sieboldii), astilbes (Astilbe japonica), plantes panthère (Farfugium japonicum) ou poacées (Carex oshimensis) ; puis une végétation courte avec des ophiopogons (Ophiopogon japonicus), mousses et herbes rases. Cette disposition est retrouvée dans la partie du jardin environnant les bassins. Elle offre une harmonie de formes et un nuancier de verts subtil tout en apportant une diversité botanique avec des espèces de tailles variées
Un jardin botanique de plantes japonaises
Vues du jardin de plantes médicinales avec ses pivoines et le cerisier offert par la Yokohama University of Pharmacy
L’une des spécificités du jardin botanique et médicinal kampo de l’UGA est qu’il intègre des éléments paysagers et ornementaux considérés comme japonais (Young D. et M., 2019), cela au service de la valorisation de sa collection botanique. Ce jardin a ainsi deux aspects complémentaires : la botanique abordée de manière originale avec les codes du jardin japonais, et les finalités médicinales et pédagogiques.
Si l’on considère les jardins botaniques créés au Japon, d’après l’état de nos connaissances, ils ne reprendraient que rarement les codes des jardins japonais sur l’ensemble des sections proposées aux visiteurs. Ainsi un jardin paysager japonais y est préférablement conçu dans une section distincte. C’est le cas du jardin botanique Koishikawa entretenu par l’université de Tokyo qui accueille, dans sa partie sud-ouest, un jardin défini comme japonais (日本庭園), où le travail paysager prévaut sur la présentation des espèces botaniques qui y sont cultivées. Néanmoins, d’autres structures comme le jardin botanique de Nikkō, dont l’entretien est aussi assuré par l’université de Tokyo, expose sa collection botanique dans un parc paysager mêlant des éléments caractéristiques du jardin japonais (lanternes, cheminements, barrières et taille des arbres) sans qu’ils ne soient rassemblés dans une section particulière. Le jardin universitaire Dominique Villars tente ainsi par son approche de concilier botanique scientifique et tradition paysagère japonaise en un même espace au service de la médiation culturelle et scientifique universitaire.
Par ailleurs, la manière dont les jardins botaniques japonais choisissent de présenter des espèces médicinales kampo est également pertinente dans la description que l’on pourrait faire des jardins botaniques et médicinaux au Japon. On retrouve des espaces de ce type dès le xviie avec le jardin Koishikawa qui est le plus ancien jardin botanique du Japon. Il a été créé en 1684 par le shogunat Tokugawa6, sous le nom de Jardin d’herbes médicinales de Koishikawa. Ce type de jardins a une double utilité avec la production de matières premières mais également une dimension didactique pour l’enseignement de la tradition médicale. Par la suite, ces jardins se sont développés et permettaient ainsi la culture de plantes importées de Chine comme le ginseng (Gotō et al., 1995). Si la production de drogues végétales n’est actuellement plus la fonction des jardins médicinaux japonais, on compte cependant plusieurs jardins botaniques et médicinaux influencés par cet héritage. C’est le cas des jardins botaniques Morino à Uda (森野旧薬園) et Takeda à Kyoto (京都薬用植物園). Ce dernier est l’un des partenaires japonais importants pour l’établissement de la collection de plantes du jardin botanique Dominique Villars, au côté de l’université de pharmacie de Yokohama.
La collection botanique du jardin des UFR de médecine et de pharmacie de Grenoble réunit maintenant plus de 400 espèces botaniques avec près d’une centaine d’espèces pour la zone japonaise. Les plantes ornementales captent l’attention des visiteurs, construisent l’espace et accompagnent la collection de plantes médicinales japonaises7 donnant un panel représentatif des plantes médicinales employées en Asie. L’ensemble de la collection botanique est étiqueté avec mention des noms latins, vernaculaires et de la famille botanique.
Un espace partenarial et de médiation scientifique
De la fourniture des plants à la matérialisation, un exemple de démarche partenariale
À terme, l’équipe du jardin souhaite développer des activités conservatoires d’espèces botaniques de support à la recherche scientifique. À ces fins, il convient de s’appuyer sur une collection conséquente. Se pose alors la question de l’approvisionnement en semences et plants. Une partie des plantes médicinales figurant dans le jardin proviennent du jardin botanique Takeda à Kyoto. Ce vaste jardin botanique constitue un modèle s’agissant de la présentation et de la conservation des plantes médicinales. Construit en 1933, il est organisé en sections thématiques dont une sur le kampo avec une mise en scène didactique qui permet de valoriser la singularité des associations de plantes retrouvées dans les formules thérapeutiques traditionnelles japonaises.
Ce partenariat permet au jardin Dominique Villars de se doter de plantes rares en Europe comme l’angélique du Japon (Angelica acutiloba), des asarets (Asarum heterotropoides et A. sieboldii), ginseng (Panax ginseng), ou encore différentes variétés d’atractylodes (Atractylodes lancea). La plupart des plantes importées se sont acclimatées. On notera quelques exceptions avec les buplèvres (Bupleurum sp.), éphedra (Ephedra sinica) et lotus (Nelumbo nucifera), qui n’ont pas supporté la culture en pot après leur arrivée en France. Les lotus quant à eux ont pu germer et débuter leur croissance mais n’ont pas survécu à la mise en eau dans les bassins du jardin.
Par ailleurs, le jardin est source de liens académiques forts avec l’université de pharmacie de Yokohama (échanges scientifiques, de semences et de plants) conduisant à une démarche partenariale durable. Pour symboliser ce partenariat, un cerisier du Japon a été planté par l’équipe du jardin botanique Dominique Villars entre les deux parties de ce dernier.
Une conception de l’espace en fonction des finalités didactiques et d’agrément
Ce nouveau jardin hybride mêle contenu scientifique et pédagogique avec également des particularités du jardin d’agrément japonais. Tout en éveillant la curiosité des visiteurs pour l’Asie extrême-orientale, il permet la médiation scientifique sur des sujets importants tels que la nécessité de protéger les savoirs des médecines traditionnelles dans le monde.
Le jardin japonais médicinal a plusieurs vocations dont la consolidation de la collaboration internationale avec le Japon, l’amélioration du cadre de travail des étudiants et personnels du secteur santé de l’UGA, la constitution d’un support pédagogique aux enseignements et à la médiation culturelle et scientifique. Les espèces botaniques présentées dans le jardin japonais figurent dans les enseignements de tronc commun des études de pharmacie et de formation continue (diplôme universitaire de phytothérapie et aromathérapie cliniques/diplôme universitaire d’ethnobotanique appliquée). Cette collection botanique japonaise sert ainsi de support pédagogique pour ces cursus. Les caractéristiques botaniques des plantes y sont alors présentées, fondamentales pour l’identification des drogues végétales mentionnées dans les pharmacopées.
Le jardin est aussi le théâtre de manifestations culturelles impliquant des acteurs japonais dont des chercheurs en visite à l’université, des enseignants et étudiants ou encore des représentants consulaires. Unique en son genre, le jardin japonais Dominique Villars est ainsi utilisé pour des opérations de médiation culturelle et scientifique : visites guidées pour les scolaires et le grand public (figure 15), permettant ainsi de sensibiliser les visiteurs à la biodiversité et aux médecines d’ailleurs. Plusieurs événements et visites guidées y sont organisés chaque année avec des conférences thématiques et des ateliers sur les arts japonais (origami, furoshiki, ateliers linguistiques, initiation à la calligraphie, cérémonie du thé…). De plus, au sein du jardin, un parcours pédagogique constitué de douze grands panneaux modulables permet de présenter trois expositions culturelles chaque année. À titre d’exemple, à l’automne 2023, le jardin présente une exposition culturelle temporaire intitulée « Fleurs du Japon » pour célébrer les dix années de collaboration scientifique entre l’université de Tsukuba et l’UGA.
En résumé
La création d’un jardin japonais de plantes médicinales kampo à l’Université Grenoble Alpes permet de mettre en valeur cette médecine traditionnelle japonaise utilisant des ingrédients naturels, principalement des plantes. Comme nous l’avons présenté, cette section du jardin botanique Dominique Villars intègre en un même lieu des éléments paysagers et ornementaux japonais. Elle est divisée en deux parties : l’une présentée comme un jardin d’agrément avec divers éléments (bassins, lanterne, roches et pas japonais) et une autre spécifiquement dédiée aux plantes médicinales. Le choix des espèces végétales s’est basé sur les principes de l’aménagement japonais avec des espèces emblématiques qui structurent le paysage et accompagnent les espèces médicinales.
Un des enjeux principaux de cette nouvelle zone du jardin est de permettre son entretien et son maintien, tout en essayant d’appliquer des codes du jardinage japonais. Si le personnel d’entretien du jardin a par exemple été sensibilisé aux techniques de taille, les différences de climat importantes, les ressources en personnel ainsi que leur formation font de la pérennisation de ce jardin un défi. Les enjeux sont donc importants puisque ce dernier favorise la médiation culturelle et scientifique et l’étude des plantes médicinales au niveau universitaire.
Cette approche ethnobotanique, retrouvée aussi bien dans les activités culturelles et grand public que dans les enseignements, met ainsi en valeur la richesse de la médecine kampo et suggère, comme c’est le cas au Japon, une possible intégration des thérapeutiques naturelles dans un système de soins contemporain.