Avec l’arrivée de l’automne et l’installation d’une nouvelle collection de bulbes au jardin Dominique Villars (+ de 300), dont une grande majorité de tulipes, il est intéressant de revenir sur l’histoire captivante de cette fleur qui a marqué l’Europe au XVIIe siècle.
La tulipe, avec ses couleurs éclatantes et sa forme gracieuse, est rapidement devenue l’une des plantes les plus prisées des jardins européens. Et l’une des figures clés derrière cette fascination florale est Charles de l’Écluse, un botaniste visionnaire qui a contribué à introduire la tulipe en Europe et à faire de cette fleur un symbole de prestige.
La tulipe : une fleur au parcours millénaire
La tulipe appartient à la famille des Liliaceae et se distingue par ses grandes fleurs solitaires, généralement en forme de coupe, et ses feuilles étroites et allongées. La fleur peut se décliner en une large palette de couleurs, allant du blanc pur au rouge vif, en passant par des tons de jaune, de rose et même des variétés multicolores. Ses bulbes, qui lui permettent de se reproduire, sont souterrains et assurent la survie de la plante d’une année à l’autre. D’un point de vue botanique, la tulipe (Tulipa spp.) trouve son origine dans les montagnes d’Asie centrale, notamment en Turquie, au Kazakhstan, en Iran et dans les régions avoisinantes. Elle est parfaitement adaptée aux climats continentaux avec des étés secs et chauds et des hivers froids. Dans ces régions montagneuses, la tulipe pousse naturellement sur les pentes rocailleuses, profitant de la fonte des neiges au printemps pour s’épanouir.
Les tulipes sont très diversifiées et se répartissent en plusieurs groupes, chacun ayant des caractéristiques distinctes. Parmi les plus emblématiques, on trouve les tulipes Viridiflora, reconnaissables à la bande verte qui orne leurs pétales. Ces tulipes, souvent bicolores, offrent un contraste saisissant entre les zones vertes et leurs autres teintes. Les tulipes Crispa, quant à elles, sont particulièrement appréciées pour leurs pétales bordés de franges délicates, leur donnant un aspect légèrement ondulé et froissé. Ces tulipes apportent une texture unique au jardin. Les tulipes Rembrandt sont célèbres pour leurs motifs striés et éclaboussés de couleurs, dus à une infection virale historique qui a provoqué des variations chromatiques fascinantes. Les tulipes Fosteriana, avec leurs grandes fleurs et leurs tiges robustes, sont idéales pour les premiers printemps, tandis que les tulipes Triumph représentent le groupe le plus populaire, caractérisé par des fleurs simples et arrondies, très résistantes et parfaites pour les massifs. Enfin, les tulipes Parrot, avec leurs pétales fortement frangés et torsadés, se distinguent par leur aspect extravagant qui rappelle des plumes d’oiseau.
Les premières traces de la culture de la tulipe remontent à l’époque de l’Empire perse, où cette fleur symbolisait l’amour et la prospérité. Des poèmes persans font même référence à la tulipe, en décrivant sa beauté éclatante comme une métaphore de la passion. Bien que la tulipe soit originaire d’Asie centrale, c’est dans l’Empire ottoman qu’elle a réellement été cultivée et appréciée à grande échelle. Les jardins du palais de Topkapi à Constantinople (aujourd’hui Istanbul) regorgeaient de tulipes, et elles étaient un symbole de pouvoir et de richesse pour les sultans ottomans. Le mot « tulipe » lui-même vient du mot turc tulbend, qui signifie « turban », en référence à la forme de la fleur qui rappelle celle du couvre-chef traditionnel ottoman. Les marchands et diplomates européens présents à la cour ottomane furent rapidement fascinés par cette fleur exotique. C’est ainsi que la tulipe commença son voyage vers l’Europe occidentale.
Charles de l’Écluse, pionnier des jardins européens
Né en 1526 à Arras, Charles de l’Écluse, également connu sous son nom latinisé Carolus Clusius, a révolutionné l’étude et la culture des plantes en Europe. Il a parcouru le continent, étudiant des plantes dans des régions aussi diverses que l’Espagne, l’Autriche et la Hongrie. Mais c’est aux Pays-Bas, alors l’un des centres intellectuels et botaniques d’Europe, qu’il a laissé son empreinte la plus durable.
Lorsqu’il devint directeur du jardin botanique de l’Université de Leyde en 1593, de l’Écluse introduisit ses premiers bulbes de tulipes, reçus en cadeau d’un ambassadeur revenant de l’Empire ottoman. Ces bulbes, cultivés initialement dans un but scientifique, étaient très vite admirés pour leur beauté. Ce qui est fascinant, c’est que de l’Écluse n’avait pas anticipé que la tulipe, qu’il avait apportée à des fins d’étude botanique, deviendrait un symbole de richesse et de statut social dans toute l’Europe. Un aspect moins connu de l’histoire de la tulipe est qu’à peine quelques années après l’introduction de cette fleur à Leyde, les jardins botaniques où de l’Écluse les cultivait furent régulièrement pillés. Les bulbes de tulipes étaient devenus si précieux que les voleurs venaient la nuit pour les dérober. Ce phénomène montre bien l’ampleur de la fascination que les tulipes avaient déjà commencée à susciter, et l’engouement pour ces fleurs allait encore croître de manière fulgurante.
La Tulipomanie : une bulle spéculative incroyable
Au début du XVIIe siècle, la tulipe devint un véritable objet de spéculation financière, donnant naissance à un phénomène sans précédent connu sous le nom de « Tulipomanie ». Entre 1634 et 1637, aux Pays-Bas, les bulbes de tulipes, surtout ceux présentant des motifs et des couleurs rares, devinrent si convoités que leur prix grimpa à des niveaux vertigineux. Certains bulbes se vendaient à des prix exorbitants, atteignant jusqu’à dix fois le salaire annuel d’un artisan.
La tulipe n’était plus seulement une plante ; elle représentait une forme de richesse. Une anecdote célèbre raconte qu’un seul bulbe de la variété « Semper Augustus« , l’une des plus rares, a été échangé contre douze acres de terre, une somme considérable pour l’époque. Certains documents historiques révèlent même des échanges de bulbes contre des maisons ou des carrioles, démontrant à quel point la passion pour cette fleur avait pris des proportions irrationnelles. Malheureusement, comme toute bulle spéculative, celle de la Tulipomanie finit par éclater. En février 1637, les prix des tulipes chutèrent brusquement, ruinant de nombreux spéculateurs. Des fortunes entières disparurent en l’espace de quelques jours, et la tulipe, autrefois symbole de prospérité, devint pour certains le souvenir amer d’une folie financière.une bulle spéculative incroyable
Un bel héritage botanique
Différentes espèces ont servi à développer les nombreux cultivars actuels. La tulipe des jardins, Tulipa × Gesneriana, est de loin la plus couramment utilisée historiquement et celle qui a donné naissance à la plupart des variétés aujourd’hui disponibles. Il s’agit d’un hybride complexe et ancien, datant du XVIe siècle au moins, entre plusieurs espèces proches, dont la principale est Tulipa suaveolens.
Cependant, d’autres espèces ont été largement employées pour la création de variétés, certaines depuis longtemps, tandis que d’autres ont été utilisées plus récemment. Les hybridations sont toujours courantes afin de générer de nouvelles espèces. En horticulture, on a divisé les différentes variétés en 15 catégories, principalement en fonction de la forme des fleurs et de la hauteur des plantes. Une quinzième catégorie regroupe les tulipes botaniques. Parmi les nouvelles entrées dans notre collection :
- Tulipa fosteriana ‘Orange Emperor’ et ‘Purissima’
- Tulipe dentelles ‘Fancy frills’ ;’Pacific Pearl’ ; ‘Perth’
- Tulipa viridiflora ‘Green Love’
- Tulipa clusiana
- Tulipe double tardive ‘Crème Up Star’
En introduisant cette nouvelle collection de tulipes cet automne, nous offrons aux visiteurs l’occasion de découvrir une plante qui, au-delà de sa beauté, possède une histoire riche et des caractéristiques étonnantes. Nous espérons que les tulipes plantées prochainement passeront un bel hiver sous terre et que vous verrez au printemps prochain vous feront non seulement apprécier leur grâce et leur éclat, mais leur utilisation dans le passé et à leur importance botanique aujourd’hui.
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