Au Japon, quand vient l’automne rougeoyant et ses chrysanthèmes

Femme aux érables issue de la série d’estampes MomoyogusaFleurs des cent mondes – (1909) de Kamisaka Sekka (1866–1942). Rawpixel Ltd, CC BY

Après un été aux chaleurs écrasantes et les typhons du mois de septembre, arrivent enfin la fraîcheur et les fleurs d’automne sur l’archipel nippon !

La fleur la plus emblématique de cette période est sans aucun doute celle du chrysanthème. Originaire de Chine, la « fleur d’or » prit racine au Japon à la période Heian (794-1185).

Nommée kiku (Chrysanthemum morifolium), sa floraison tardive et son habilité à vaincre les premières gelées furent perçues comme le fait d’une incroyable habilité à capter l’énergie du ciel de la Terre. En Chine comme au Japon, ces fleurs peuplent les légendes.

Rivières magiques et immortalité

Avec les pivoines, les fleurs de chrysanthème témoignent ainsi des relations culturelles et philosophiques étroites entre les deux pays.

Paulownia et chrysanthèmes (1890-1900), par Kogyo Tsukioka. Original du Rijksmuseum/Rawpixel

Dès la dynastie Tang (618-907), on les utilise dans l’empire du Milieu pour fabriquer des liqueurs médicinales. Considérées comme un moyen d’acquérir une jeunesse éternelle, elles étaient aussi appréciées pour faire fuir les mauvais esprits. Ces croyances sont à l’origine de la Fête du double neuf, célébrée en Chine le neuvième jour de la neuvième lune.


Elle est depuis fêtée au Japon, à l’occasion du Kiku no Sekku, et figure sur l’une des cartes du jeu Hanafuda. La fleur y est représentée pour le mois de septembre aux côtés d’une coupelle de saké, Kiku ni ippai (« la coupe près des chrysanthèmes »).


Dans l’archipel, la fleur bénéficie aussi d’une place centrale dans une pièce de théâtre Nō, Kiku-Jido. Celle-ci conte la fable d’un jeune homme de l’ère Zhou (510-314 av. J.-C.), exilé au Sud dans la région de Nanyang. Lors de son périple, il but la rosée des chrysanthèmes et devint immortel.

Chrysanthèmes, photographie recolorée issue de Some Japanese Flowers (1896) par Kazumasa Ogawa. Original du J. Paul Getty Museum/Rawpixel

D’autres mythes, également issus du Céleste Empire, évoquent des eaux de rivières magiques par la simple présence de pétales de chrysanthème versés en amont dans la montagne. Des légendes retrouvées sur les kimonos ornés du motif suikiku représentent ces fleurs d’or glissant sur l’ondée d’une rivière. La fleur bénéficie aussi d’une symbolique très forte : selon le Hanakotoba, le langage des fleurs japonais, elle incarne la noblesse, l’intégrité et l’amour.


Au pays du Soleil-Levant, la fleur tant aimée s’est imposée comme véritable symbole lorsque l’empereur Go-Toba (1180–1239) en fit son emblème. Avec ses 16 pétales, elle mime le disque solaire et rappelle les origines divines de l’empereur. Un symbole fort faisant écho aux croyances du shintō selon lesquelles les empereurs seraient des descendants directs d’Amaterasu, la déesse du soleil.


Fréquemment, des fleurs et feuilles de paulownia (Kiri, Paulownia tomentosa) sont également observées sur les écussons officiels. Un arbre à la symbolique importante puisque selon la mythologie shintō, ses branches serviraient de refuge à un oiseau mythique, le Hō-ō, phœnix japonais.

Les sept fleurs d’automne

Fleurs de Platycodon grandiflorum dans les jardins Koishikawa Korakuen en juillet 2021. M.P-Traversaz, CC BY-NC-ND

L’arrière-saison nippone est également celle des sept fleurs de l’automne, nommées aki-no-nanakusa. Parmi elles, l’incontournable grande campanule (Kikyou, Platycodon grandiflorus) et le lespédèze (Hagi, Lespedeza sp.).


Les accompagnent, l’œillet superbe (Nadeshiko, Dianthus superbus), le miscanthus (Obana, Miscanthus sinensis), le kudzu (Kuzu, Pueraria lobata), la valériane à fleurs jaunes (Ominaeshi, Patrinia scabiosifolia) et l’eupatoire (Fujibakama, Eupatorium fortunei).


L’ensemble fut immortalisé sur une même estampe par Hiroshige (1797–1858) en 1858 : au premier plan du majestueux Mont Fuji figurent ces fleurs emblématiques. Ces sept merveilles de l’automne, qui ornaient alors les kimonos et obis portés durant cette période, étaient aussi des sujets de choix pour les poèmes de l’anthologie Man’yōshū, compilant des écrits des périodes Nara et Heian (710-1185).

Plaine d’Otsuki dans la province du Kai (1858) par Utakawa Hiroshige (1797-1858). Original du Boston Museum of Fine Arts/Wikimedia

Lys maléfique

L’une des autres fleurs symboliques de l’automne est le lycoris rouge (Higanbana, Lycoris radiata). Son nom anglais – Red Spider lily – fait référence à sa forme arachnéenne.


Le lycoris rouge, ou higanbana, tire son nom de l’O-higan, correspondant à l’équinoxe d’automne. Higan peut également se traduire par « l’autre rive ». Faisant le lien avec la terre des défunts, de l’autre côté de la rivière Sanzu, l’équinoxe d’automne O-higan est ainsi une journée d’hommage pour les âmes perdues.


Le higanbana est intrinsèquement lié à la mort et sa floraison est vue à bien des égards comme maléfique. Une croyance populaire décrit d’ailleurs qu’une de ces fleurs exposées dans une maison apporterait malheur et flammes.


Originaires de Chine, les lycoris n’existent au Japon que sous la forme de plants stériles. Ne se reproduisant que par développement végétatif de bulbes, le higanbana pousse donc là où l’homme l’a décidé.

Illustration de higanbana (Lycoris radiata), issue du Honzō Zufu par Iwasaki Tsunemasa (1786–1842).

Si on retrouve les lycoris rouges près des cimetières, il est possible d’en observer aussi le long des rizières. Ces paysages pittoresques aux couleurs contrastantes ne sont pas uniquement esthétiques : avec leurs bulbes toxiques, ils sont connus pour repousser les nuisibles.


Ces parties souterraines, nommées sekiso, sont aussi employées en médecine populaire par voie topique pour leurs propriétés anti-inflammatoires. Maléfique, peut-être, mais néanmoins bien utile !

Feuillages de feu et d’or

Début novembre, les nuits se font plus longues et les journées se rafraîchissent. Les feuillages changent de couleur pour virer au jaune, à l’orange… mais la plus prisée des nuances reste le rouge.


Les Japonais appellent cette période unique le koyo pour décrire ce « rougeoiement » si caractéristique, que l’on observe notamment sur les érables.

Oiseau sur une branche d’érable (1900–1936), par Ohara Koson (1877-1945). Original du Rijksmuseum/Rawpixel

Les érables japonais sont nommés kaede car la forme de leurs feuilles rappelle la silhouette d’une « main de grenouille » (du japonais kaeru, grenouille, et te, main). Contrairement à son cousin canadien (Acer rubrum) dont la feuille n’a que trois pointes, l’érable du Japon (Acer palmatum) présente entre cinq à six doigts.


Ils offrent à l’automne un spectacle hors du commun, grandement recherché par les habitants de l’archipel. C’est la période du Momiji-gari, ou « chasse aux érables ». Une appellation qui fait écho à la chasse au cerf qui avait lieu autrefois avant l’hiver. Il est intéressant de voir que d’anciens poèmes du Shin-kokinshu liaient déjà à l’époque l’animal de la forêt et cet arbre tout aussi majestueux.


Cet imaginaire est représenté sur les cartes du mois d’octobre du jeu Hanafuda. À cette époque de l’année, les montagnes de la préfecture de Tochigi et les environs de Nikko ainsi que les forêts d’Arashiyama proches de Kyoto sont célèbres pour l’observation du koyo.

Photographie du Temple Daigo-ji à l’automne. Patrick Vierthaler/Flickr, CC BY-NC

Accompagnant l’érable, les feuilles dorées du ginkgo (Ginkgo biloba) viennent compléter ce tableau de l’automne qui contraste avec le vert profond des cyprès et pins japonais.


Véritable arbre fossile datant du Permien (-270 millions d’années), l’espèce fut décrite en Europe pour la première fois par le botaniste et médecin allemand Engelbert Kaempfer en 1712. Il ramena de son séjour au Japon plusieurs plants qui furent ensuite exposés à Utrecht et dans d’autres jardins botaniques. Ainsi, la majorité des spécimens occidentaux proviennent de boutures de ceux rapportés par Kaempfer.


Le ginkgo est un arbre primitif dioïque, avec des individus mâles et femelles se reproduisant par fécondation d’ovules. Ce mode de reproduction archaïque n’est retrouvé que chez le ginkgo et le cycas du Japon (Cycas revoluta). Les ovules, nommés en Chine yinxing (« abricots argentés »), sont très appréciés et employés comme aliment et remède.

Hibou sur une branche ginkgo (1900–1936), par Ohara Koson (1877-1945). Original du Rijksmuseum/Rawpixel

Les vertus médicinales du ginkgo sont aujourd’hui davantage liées à l’extrait de feuilles, utilisé pour ses propriétés de tonique vasculaire. Si les individus femelles sont bien considérés dans toute l’Asie, ils le sont moins en Europe où l’odeur de beurre rance des ovules les rend impopulaires dans les jardins.


Pouvant atteindre l’âge de trois millénaires, cet arbre est un symbole de longévité. Certains spécimens nippons sont d’ailleurs âgés de plus de mille ans comme celui de Hida Kokubun-ji à Takayama, âgé d’environ 1200 ans.


Cet « arbre aux abricots d’argent » incarne également la résilience : à la suite des catastrophes nucléaires de Hiroshima et de Nagasaki, quelques ginkgos survécurent dans la zone la plus irradiée. Ces miraculés sont nommés au Japon hibaku, comme tous ceux ayant survécu aux attaques. Ils incarnent aujourd’hui la persévérance et l’immortalité.


Les feuilles bilobées de l’arbre sont en outre devenues le symbole de la ville de Tokyo et ornent ses grandes allées passantes.

Rossignol de Sibérie à côté d’une pivoine (1925-1936), par Ohara Koson (1877-1945). Original du Rijksmuseum/Rawpixel

Pivoines du froid

Depuis l’époque d’Edo, des variétés de pivoines arbustives (Paeonia suffruticosa), nommées kan-botan et fuyu-botan fleurissent les jardins en hiver.

La culture de ces pivoines des neiges est cependant exigeante et requiert des soins rigoureux. Pour réaliser cet exploit horticole, les jardiniers sectionnent les bourgeons du printemps, obligeant alors la plante à en reformer de nouveaux qui ne seront prêts qu’à l’automne.


En revanche, cette technique de culture est périlleuse et offre un rendement de floraison très faible, inférieur à un quart par rapport aux floraisons habituelles.


Certains jardins se sont spécialisés afin d’offrir de spectaculaires floraisons hivernales : les jardins du sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu (Kamakura) et ceux du sanctuaire Tōshō-gū (Tokyo) sont éminemment remarquables. Ce dernier n’expose pas moins de quarante variétés et près de 200 plants. Tous sont alors abrités du gel et de la neige par des huttes d’osier, nommées warabochi.


Les variétés de fuyu-botan, « pivoines d’hiver », les plus populaires sont yachiyo tsubaki et shimanishiki. Pour les kan-botan, « pivoines du froid », la variété togaya kan est particulièrement plébiscitée par les visiteurs. Fuyu et kan-botan sont très proches, les fines variations concernent les techniques de culture et de taille employées, la forme des fleurs et l’abondance du feuillage.

Pivoines d’hiver (à gauche) et fleur de Fuyu-botan (Paeonia suffruticosa, à droite), au jardin Tōshō-gū, à Tokyo en janvier 2021. M.P-Traversaz, CC BY-NC-ND

Ensemble, ces variétés très singulières offrent depuis l’époque Edo (1603–1868) un spectacle saisissant, témoignant de l’attachement des Japonais pour cette nature fragile et merveilleuse…

Manon Paul-Traversaz

Docteur en pharmacie, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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